Détruire ou altérer le fonctionnement des machines numériques, la résistance du 21e siècle ? [[bib_163]]

Éditeur : Numero 19 ! Vol. 45 No 1 (2021)

Auteurs multiples...
Parite de Benjamin Cadon :
https://revuepossibles.ojs.umontreal.ca/index.php/revuepossibles/article/view/378/385

 

INTRO :

Plus de deux siècles se sont désormais écoulés depuis la destruction de deux métiers à tisser par le légendaire Capitaine Ludd en 1780 en Angleterre. Leader imaginaire du mouvement luddite, Ned Ludd incarna la colère des tondeurs et tricoteurs anglais, premières victimes d'une paupérisation et d'un libéralisme économique naissant. Sentant leur mode de travail artisanal menacé par l'arrivée des métiers à tisser industriels, ils s'attachèrent à les détruire pour ne pas se voir dépossédés de leurs savoir-faire et de leurs conditions de vie. Ce mouvement connut des échos en France et dans d'autres pays, des groupes se sont ensuite opposés à l'arrivée du train (Jarrige 2010) ou à l'électrification.
@Jarrige : https://bib.vincent-bonnefille.fr/search/stored/?query=Jarrige

Cette forme d'opposition radicale au « progrès technologique » a ressurgi avec le développement de l'industrie informatique dans les années 80 pour donner lieu au néo-luddisme. Entre 1978 et 1995 le mathématicien Theodore Kaczynski, alias « Unabomber », enverra des dizaines de colis piégés à des informaticiens et à des professeurs renommés de Yale ou Berkeley et tuera trois personnes et en blessera une vingtaine d'autres. Traumatisé par les expériences de résistance au conditionnement psychologique conduites à Harvard, irrité contre les mouvements de femmes et de noirs, il quitte le monde universitaire en 1969 pour fomenter ses attentats et devenir le plus célèbre terroriste anti- technologie de l'histoire. Les textes qu'il a diffusés ont connu un certain écho et sont aujourd'hui encore réédités. Ils exposent néanmoins des motivations parfois douteuses sous-tendues par une critique des technologies qui reste sommaire (Giffard 2017).
? Ce Giffard = https://alaingiffardblog.wordpress.com/2017/12/15/kaczynski/

En contrepoint, on peut évoquer le toujours mystérieux « Comité pour la liquidation ou le détournement des ordinateurs (Clodo) » (Izoard 2010) qui a sévi à Toulouse entre 1980 et 1983 et a réalisé des « sabotages d'artistes » en incendiant des ordinateurs et des supports de stockage dans des entreprises du numérique jusqu'au centre informatique de la préfecture. Composé de « travailleurs informatiques », ils s'attaquaient à travers l'ordinateur à « l'outil préféré des dominants », qui sert « à exploiter, à ficher, à contrôler et à réprimer », qui contribue à « renforcer la domination idéologique et économique de l'Occident et spécialement des États-Unis et, à un moindre degré, celle des pouvoirs locaux » (CLODO 1983, 5) à l'échelle mondiale.

40 ans plus tard, le « numérique » s'est incrusté jusque dans nos intimités, pour autant les technocritiques restent peu audibles (Mao 2016). En France, Jacques Ellul a certainement contribué à la constitution d'un terreau fertile pour l'éclosion de collectifs technocritiques comme « Pièces et Mains d'Œuvre » ou « Technologos », de maisons d'édition comme La lenteur ou L'échappée. D'autre part, les écrits du Comité invisible (« Fuck Google ») ou d'auteurs comme Bernard Stiegler ou Eric Sadin connaissent une plus grande diffusion sans pour autant galvaniser les masses laborieuses. Cependant, ces dernières années, nous avons assisté à une recrudescence d'actes de sabotages d'objets technologiques à la fois pour des motivations technopolitiques et aussi pour des raisons nourries de désinformation.